Des nos jours, la Doctrine Sociale de l’Église constitue le point le plus faible dans la théologie, avec celui du respect de la Tradition catholique. Le catholicisme, remis particulièrement à l’honneur suprême par les derniers cinq papes avant l’actuel, incarne toujours moins le barycentre névralgique de la Vérité transcendante par rapport à toute autre confession religieuse. En temps d’œcuménisme plutôt indifférencié et plus ou moins moderniste, même le christianisme romain est en train de devenir toujours plus excentrique à la christocentralité de sa Tradition. C’est certainement pour cette raison que l’archevêque de Trieste, Crepaldi, a notamment souligné les récents commentaires de Pape François sur la solidarité et la fraternité. Voici la phrase du pontife que Crepaldi a mis en relief dans son article paru dans la Bussola Quotidiana : « La solidarité est le principe de planification sociale qui permet aux non-égaux de devenir égaux ; la fraternité est ce qui permet aux égaux d’être des personnes différentes ». Des mots très simples pour présenter dans la rigueur théologique toute la diversité entre le principe laïque de la solidarité et celui catholique de la fraternité. Ce dernier permet à l’individu de devenir la personne vocationellement accomplie d’une manière complète et unique : ontologiquement pré-destinée. Toute la mission de salut du christianisme et son avantage non moins qu’éternel sont contenus dans cette différence.
Dans la vision synthétiquement décrite par Pape François, on retrouve également la différence profonde entre la supposée « efficacité » toujours limitée et anonyme de la solidarité et la dignité globale, même eschatologique, de la fraternité chrétienne. Toute la doctrine sociale catholique se fonde sur ce concept qui par ailleurs informe radicalement le même principe naturel de la solidarité. Il s’agit là des deux stades constituant le missile ayant l’objectif de livrer l’humain dans la liberté de tout son propre espace vital et spirituel. Le fameux « centuple », promis dans le message évangélique sur cette Terre à tout fidèle christocentrique, illustre parfaitement le contenu de cette différence que le monde contemporaine essaye d’oublier ou de nier explicitement. Cette attitude, typiquement réductionniste propre de la culture moderne, positiviste et incrédule, est définie avec la parole « laïcisme ». Ce n’est pas par hasard si ce mot est plutôt méconnu ou non reconnu dans les mentalités courantes de la pensée unique actuellement dominante dans notre monde superficiel et sécularisé. L’acception du terme laïc est faite coïncider tout bonnement avec celui de laïciste et vice-versa : ainsi on arrive automatiquement, par exemple, à exclure la liberté sacro-sainte de l’enseignement génitorial en la faisant également coïncider avec celle de l’État : fini le droit naturel de l’éducation libre dans la famille des enfants ! Les enseignants sont devenus au service de l’idéologie étatiste contre la culture de la famille. De la sorte, on arrive par conséquent à penser au même type de réductionnisme concernant le rapport général avec l’État. L’étatisme, en effet, est l’idéologie qui prétend totaliser tout le pouvoir et l’action sociale dans les mains de l’État et sous sa tutelle omniprésente laquelle veut également tout englober. L’Évangile et la DSÉ enseignent par contre que l’État doit seulement garantir la liberté des hommes et des personnes dans la gestion sans entraves de tout leur pouvoir relationnel, y compris celui éducatif.
L’étatisme n’est donc que le réductionnisme politique et économique dominant dans nos sociétés dites modernes. Il engendre le politicisme dégradé avec lequel la mentalité désormais courante a le projet de traiter tous les problèmes publiques, et de plus en plus, aussi privés. Il exclut que puissent exister des problèmes et des sphères intimes désirant légitimement être énoncés et assurés publiquement en subsidiarité. Dans l’optique par contre du « tout État », ces dimensions seraient écartées et traités au niveau individuel sans aucun reflet sur le plan politique de la « majorité » à peine électorale (majorité, à son tour, obtenue même avec des primes discutables et en vain très discutés !). Cette idéologie devient ainsi dictatoriale et même féroce dans son absolutisme dans lequel le totalitarisme atteint le plus haut niveau pratique d’esclavage spirituel et culturel jamais conçu. Bonjour, ainsi, les inviolables droits des minorités !
Ce même réductionnisme, notoirement très superficiel et inconscient, a gagné ou est en train de gagner massivement aussi des rangs importants de l’Église catholique. Le clergé, afin de courir après au laïcisme et, surtout, à l’incrédulité des masses abruties en dérive toujours hérétique, s’adonne généralement au spiritualisme étatiste, dans l’illusion de continuer à disposer d’un pouvoir même si illusoire ou subordonné. Sans s’apercevoir d’avoir ainsi trahi complètement l’incarnation de la Trinité. Mieux vaut suivre – toujours ! – l’unique séquelle du Christ sacrifié sur la Croix : toujours à l’opposition du pouvoir politique et jamais en position marginale, voire insignifiante. En évitant soigneusement sa toujours compromettante coalition minoritaire. En réalité, l’étatisme est devenu par induction, et honteusement, l’idéologie pernicieuse la plus courante et escomptée. La preuve supplémentaire en est que le catho-protestantisme est en train d’accomplir sa mission de conquête culturelle et opérationnelle à tous les niveaux d’érosion. Que l’on pense au fait que la réforme protestante a toujours poursuivi la prévalence du pouvoir politique sur la dimension religieuse… Parallèlement, des puissantes forces obscurantistes sont également à l’attaque systématique et en train de poursuivre des projets innombrables trans-humanistes qui bouleversent gratuitement la conception anthropologique elle-même de l’homme. Le tout, avec la complicité de larges secteurs dits progressistes internes aussi à l’Église.
L’enthousiasme de l’archevêque Crepaldi pour les propos de Pape François montre l’importance attribuée au seul fait que l’Église parle des thèmes de la DSÉ (même si d’une façon occasionnelle). La Doctrine Sociale de l’Église constitue l’arme totale – à présent tout de même très nominalement – contre le protestantisation du catholicisme qui est en train de galoper avec insouciance vers sa perdition dans l’étatisme. L’idée projectuelle en est à sa soi-disant « mission de modernisation ». Mais lorsqu’on perd le christocentrisme qui se situe toujours contre et bien séparé du pouvoir mondain, inévitablement on tombe dans l’hérésie soft du modernisme, bien connu par l’Église qui, à plusieurs reprises, l’a déjà combattue dans l’histoire. Même avant le dix-neuvième siècle, avec la grande bataille contre l’hérésie du casuisme, qui s’est développée deux siècles bien auparavant.
Le problème est que le manque de culture, et surtout de foi (!), fait répéter facilement les fautes si bien reconnues et émendées. C’est probablement pour cette raison que l’article de Crepaldi annonce joyeusement le début, ce premier juin prochain, d’un cours de doctrine sociale online. Un cours qui veut combler un déficit épouvantable dans la culture moderne catholique, dans lequel six leçons magistrales sont déjà prévues. En effet, toute foi qui ne se transforme pas continuellement en véritable culture rigoureuse, risque de s’évanouir dans le néant. Les informations les concernant sont disponibles sur le site du quotidien La Bussola : http://www.lanuovabq.it/it/home.htm
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