Dans le dernier interview de père Luigi Giussani, à la télévision suisse avant sa mort, l’homme de Dieu – fondateur de Communion et Libération et actuellement en voie de canonisation – répondait très lucidement et voilé de tristesse à la question la plus cruciale : « Oui, c’est l’Église qui a lâché les hommes ! », avait-il affirmé gravement, en continuant « plutôt et avant que les hommes à avoir lâché l’Église ». L’éducateur réputé le plus grand au monde dans le vingtième siècle ne s’imaginait guère que même sa CL se serait positionnée dans cet affreux auto-laïcisme à peine une dizaine d’années plus tard. Les motivations de son très cher mouvement, même si nécessairement différentes des autres associations, auraient été dans la substance les mêmes des spiritualistes et des intimistes fatalement psychologistes, devenus progressivement eux aussi des chrétiens concrètement « à moitié ». Et ceci, en acceptant l’exclusion, et même en auto-excluant volontairement, dans les sociétés dites modernes leurs présence publique de témoignage divin et, naturellement, on ne peut plus humain. Il va de soi qu’une bonne partie de CL est restée fidèle aux principes totalisants d’origine. Mais ses dirigeants profondément giussaniens se sont retrouvés implacablement exclus des rangs prééminents, voire carrément poussés en dehors : une véritable traîtrise objectivement organisée contre le charisme actuellement mystifié de son fondateur ! Lequel, mystérieusement, résiste toujours et il est même conflué dans d’autres mouvements en caractérisant l’esprit orthodoxe du temps. De notre temps. Celui-ci est en train d’entamer une nouvelle ère ecclésiale plein d’intelligence authentiquement religieuse. Mais, pour le moment, ce charisme irréductiblement christocentrique, reliant – et non séparant ! – le vertical de l’horizontal, semble destiné à ne devoir constater que la grandeur de son témoignage dans une défaite générale sur le plan quantitatif aussi bien culturel que politique.
Par ailleurs, c’est exactement ce que le christianisme demande – comme minimum – toujours aux véritables chrétiens, à l’enseigne du témoignage du Christ mourant sur la croix, avant sa glorieuse et décisive Résurrection.
Mais en quoi consiste-t-il ce réductionnisme qui m’autorise à parler, d’une manière si apparemment arrogante, de 50% de trahison du charisme originaire de CL ? On pourrait fixer la caractéristique peut-être principale du charisme giussanien avec deux adjectifs, deux verbes au participe présent, qui lui étaient très chers : totalisant et globalisant. Le catholicisme, pour père Giussani, ne peut être que total et global. Toujours ! Aucune dimension pouvant être exclue par un chrétien, car Christ est par définition Roi de tout, en tous cas et partout. La limitation de cette souveraineté, sa seule réduction à la dimension personnelle de ses relations intimes et directes est, en effet, même beaucoup plus que la réduction quantitative de la moitié. Elle est la nullification de la caractéristique essentielle du christianisme qui, dans son universalité, ne peut qu’affirmer d’abord son annonce publique, on ne peut plus que publique, de son message. Sans ce préliminaire on entre inévitablement dans le relativisme, donc on se soumet – plus ou moins progressivement et d’une manière subordonnée – au nihilisme propre de notre temps qui affirme dans la pratique la prétention de la domination de l’État sur les valeurs de la Personne : « les valeurs non négociables » du pape Émérite Benoît. L’étatisme, l’affreux étatisme prédominant dans notre ère, n’est pas vraiment autre chose ! Inéluctablement tout tombe dans l’étatisme de notre époque, car lorsqu’on a éliminé Dieu de l’horizon vital, c’est l’État qui essaye de le remplacer. Inévitablement ! Lorsque l’homme narcissique décide de suivre ses désir au lieux des lois naturelles que Dieu a fixé dans sa parfaite harmonie, des catastrophes surviennent ponctuellement. On ne fait plus assez d’enfants ? Que l’on ne se surprend pas, alors, si une crise économique colossale dont on ne sait pas vraiment s’en sortir, se présente à l’échelle mondiale (l’écroulement de la demande interne à cause du milliard et demi d’âmes de non-nés dans les dernières cinquante ans). On décide arbitrairement de seconder d’une façon conformiste les désirs de certains homosexuels impossibilités, naturellement, à produire des naissances ? Que l’on se prépare à faire face à la néo-barbarie inhumaine de la location d’utérus, en rendant des femmes esclaves (les pauvres), outre à la tragique et absurde séparation de leurs enfants (et de la condition, brutale et féroce pendant toute la vie, d’orphelins de ces derniers).
On décide par après de donner suite aux « solutions » rationalistes (absolument non rationnelles !) inventées idéologiquement par les hommes bureaucratisés ? Que l’on soit prêts à subir un intolérable et monstrueux model de société, comme en Belgique actuellement, où l’on dispose d’une manière inimaginable et surréelle, autant de fonctionnaires d’État que de travailleurs actifs dans le privé (ainsi, bonjour les taxes !) .
On peut continuer da la sorte en parlant de tout soi–disant problème même sentimental (comme l’amour relationnel ou social). On ne veut pas de Dieu mais, fatalement, on poursuit d’une façon forcenée la création artificielle de droits et de lois, de millions de lois en espèces et dans le temps, voulant « réglementer » tout problème menu, ainsi devenant insoluble pour chaque existence…
Voila où vont-ils parer les catholiques intimistes et spiritualistes (mais étatistes) qui renoncent à leur rôle social et public de « sel de la Terre ». Et ceci, surtout si n’étant pas gagnants, ils ne peuvent que permettre à la puissance du dessin de Dieu de se destiner apparemment qu’au néant des applications humaines dépourvues même de simple spiritualité.
J’entends, à ce point, l’objection des laïcistes (et même des auto-laïcistes chrétiens) : « mais alors vous voulez être des intégristes » ! Par contre, c’est justement Jésus qui a inséré dans l’histoire le concept, avec l’épisode évangélique des deux faces de la pièce, de la séparation du pouvoir spirituel de celui factuel et politique ! Certains responsables du clergé – en pratique beaucoup trop – se sont, dans le dernier siècle, beaucoup alignés à l’idée débile et inutilement horrible qu’il faut éliminer de l’espace publique toute religion afin, en effet, de permettre d’en placer une autre publique (nécessairement totalitaire), la fameuse « religion civile » soi-disant neutre et « démocratique » : celle de la domination de l’État sur la Personne. Il y a également dans ce même clergé l’idée (conséquente et automatique) selon laquelle la politique est affaire des grands responsables de l’Église d’une manière, il va de soi, cléricale. Ce sont eux, les esprits élevés, qui devraient toujours la traiter afin que les simples fidèles catholiques puissent ne pas s’abstraire de leurs activités spiritualistes bien cloitrées et éperdument « profondes ». Le tout dans une négociation avec les politiciens au pouvoir dans une dimension fatalement au sommet et favorable – hélas ! – au laïcisme outre qu’à l’étatisme. Ceux-ci, fondamentalement, poursuivant généralement l’idée d’un « monde réellement dépourvu de Dieu ». Ne consacrant au Tout Puissant que la vie dite intime ou, tout au plus, privée. Voire celle de la sacristie.
Père Giussani a lutté toute sa vie contre cette vision totalement hérétique.
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