Le travail est une nécessité, outre concrète et matérielle, aussi spirituelle. Celui qui en est activement conscient est déjà un homme libre. Mais attention, le grand philosophe allemand Hegel utilisait un mot pour indiquer cette conscience qui incluait la notion non seulement de connaissance passive mais également de volonté appliquée et conséquente. Peut-être c’est bien celle-ci l’acception de conscience active et cohérente qui justfie l’admiration obscure des méridionaux pour une presque secrète et inavouée supériorité rationnelle, typiquement septentrionale : allemande, en l’occurrence. Il ne suffit pas avoir la connaissance, par exemple, du Bien, il faut le poursuivre. La « conscience » de la nécessité porte à la liberté, à la liberté elle-même, si celle-ci est opérationnelle. Les méridionaux ont la tendance à séparer la « conscience » de la connaissance de ses conséquences logiques et raisonnables : autre chose est la raison et autre est son application, ils disent en pratique. Ainsi ils arrivent à se prélasser et se vanter de leur soi-disant capacité spéculative même bien séparée et divorcée de son intrinsèque opérativité.
Je suis né dans le sud italien, aux Abruzzes sur la mer Adriatique et à la hauteur de Rome, et j’y suis resté jusqu’à ma troisième primaire : j’en parle encore aujourd’hui le dialecte ! E ceci, jusqu’à l’émigration de mes parents en Lombardie, à l’extrême nord de l’Italie où des membre de ma grande famille travaillaient dans la très proche Suisse. J’ai pu alors regarder toute ma vie de près, par le biais de la partie de ma famille restée aux Abruzzes et celle émigrée dans le septentrion, la double nature vécue de cette parole qui constituait le barycentre de la fameuse définition hégélienne « La liberté est la conscience de la nécessité ».
Par après, avec mon épouse, de famille intégralement septentrionale, milanaise, depuis beaucoup de générations dont j’ai été le premier intrus d’origine méridionale, nous nous sommes transférés en Belgique, à l’extrême nord continental depuis une quarantaine d’années (nous y avons vécu plus qu’en Italie), nous avons commenté ensemble un épisode très emblématique : son collègue fonctionnaire à l’Union Européenne, Italien très méridional, s’en est sorti avec une phrase symbolique et représentative de la culture dite au nord italien « terrona » : « À vous, les milanais, plaît beaucoup travailler : et bien, travaillez ! À nous les méridionaux, par contre, il nous plaît d’être culture : nous somme la civilisation et vous le vil argent ! ».
La soi-disant différence de conception existentielle, d’où jaillit toute la division entre le couple supposé opposé, civilisation et argent, entre débiteurs et créditeurs, entre la Grèce actuelle et l’Allemagne, expriment in nuce toute l’actualité du conflit culturel et économique de notre temps.
L’insouciante joie dans la place, à Athènes, le soir de dance et de fête après le référendum, mesurait l’éloignement colossal, non seulement en kilomètres, de la notion renversée de civilisation. Celle-ci fixait une paradoxale interversion entre l’ancienne culture méditerranéenne, devenue éhonté et récidive, pratiquement en escroquerie dévergondée, et l’éternelle raison rationnelle, contractuellement libre et réciproque des pays septentrionaux. L’idéologie et le simulacre de la falsification a pris la place, au sud, de la civilisation et de la grande culture qui sont, entre-temps, passées au nord : auprès de ceux qui avaient été dénommés par la même Grèce, il y a trois mille ans, des « barbares ».
Toutefois les pays créditeurs n’ont presque pas le courage de définir clairement incivile et traitre la Grèce pratiquement en default. Celle-ci se vante – substantiellement et implicitement – d’avoir berné leur confiance pour être parvenue à se faire accorder autant de milliards d’euros sur la promesse – naturellement non honorée – du sacrosaint remboursement.
En réalité, même les pays créditeurs d’Athènes, ont berné avec des dettes océaniques que non seulement ils n’ont pas remboursé, mais qu’ils n’ont, comme les Grecques, aucune intention réelle de rembourser et qui augmentent tout le temps. À la différence près qu’ils ont même souscrit ces dettes – chose encore plus grave, car parfaitement antidémocratique – unilatéralement avec le futur, avec les générations suivantes, c’est-à-dire avec ses propres enfants et neveux !
L’immoralité, la même, est donc déferlée, au point que celle grecque est maintenant une petite partie de la dévastation européenne qui ôte autant de courage à tous : tous dans le même bateau !
Le grand Hegel n’aurait jamais imaginé ces connotations de la situation actuelle. En effet, il utilise dans sa très brève formule philosophique trois mots : liberté, conscience et nécessité avec un sens certain. Outre la radicale ambigüité du terme « conscience » (que le méridionaux – mais désormais non seulement – interprètent toujours exclusivement et de manière dévergondée, voire d’une façon mystifiée et étrangère à son opérativité, également les paroles « liberté » et « nécessité » ne veulent maintenant plus univoquement signifier le même sens qu’à l’époque du philosophe (fin du dix-huitième siècle).
À cette époque, la conception du monde e de la vie était encore substantiellement religieuse. La foi, généralement indiscutable et non discutée en Dieu (on n’était qu’à la veille ou au début très élitaire de la sécularisation mécréante !) permettait que ces deux mots (liberté et nécessité) aient tout leur sens ontologique. Et non celui relativiste, subjectif et écrabouillé de nos jours.
Donc, même le travail n’est plus actuellement une vérité univoque de la factualité e de l’esprit.
Lorsqu’on ne croit plus en Dieu, tout devient possible et incertain. La seule certitude est que tout devient relatif et psychologistique. La folie et l’irrationnel s’élèvent au niveau de règle dans laquelle s’est empêtrée la raison. Quaerere Dominem (Chercher Dieu) disait Benoît XVI a Paris.
En travaillant en pleine conscience !
Laisser un commentaire